12

 

             

            Hadès caressait le corps soyeux de Lola. Sa main descendit le long du buste, s’insinua entre les cuisses. Lola gémissait, soupirait, murmurait des mots tour à tour tendres ou vulgaires. Puis elle attira Hadès sur elle, et guida son sexe pour qu’il la pénètre. Elle s’agitait sous lui en poussant de petits cris plaintifs et se mordit la main. Hadès plongea son regard dans celui de la jeune femme. Elle mimait le plaisir, n’en éprouvait aucun. Hadès le savait. La tête lui tournait. Il étreignit violemment le corps de Lola. Lola avait rajeuni. Qu’importait le plaisir ?

            Puis vint le rituel du poème. Comme d’habitude. Hadès, rassasié de ce corps tiède et menteur, restait allongé, hébété. Il enfouissait son visage dans la chevelure de Lola. Elle ne bougeait pas. À voix basse, il dit :

             

            Ô toison, moutonnant jusqu’à l’encolure !

            Ô boucles ! Ô parfum chargé de nonchaloir !

            Extase ! Pour peupler ce soir l’alcôve obscure

            Des souvenirs dormant dans cette chevelure.

            Je la veux agiter dans l’air comme un mouchoir !

             

            … je plongerai ma tête amoureuse d’ivresse

            Dans ce noir océan où l’autre est enfermé

            Et mon esprit subtil que le roulis caresse

            Saura vous retrouver, ô féconde paresse !

            Infini bercement du loisir embaumé !

             

            Et, quand vint la dernière strophe :

             

            Longtemps ! Toujours ! ma main dans ta crinière lourde

            Sèmera le rubis, la perle et le saphir.

            Afin qu’à mon désir tu ne sois jamais sourde !

             

            Ce fut Lola qui dit :

             

            N’es-tu pas l’oasis où je rêve, et la gourde

            Où je hume à longs traits le vin du souvenir ?

             

            Hadès se leva. Il écarta le rideau, légèrement. La neige tombait dru au-dehors. Dans la rue, un père de famille passait, entouré de ses enfants. Il portait un sapin de Noël dans ses bras.

            — Je pars quelques jours à la montagne, jusqu’au 3 janvier… dit Lola.

            Hadès sursauta. Lola avait disparu dans la salle de bains. Il y eut un bruit d’eau, trivial. Hadès serra les poings et blêmit. Voilà comme elle le remerciait. En fuyant ! Elle n’avait pas le droit, oui, qui donc l’avait autorisée à s’échapper ainsi ?

            Il se raisonna : il ne pouvait rien dire, la moindre protestation eût déclenché un fou rire de Lola, sans doute… Hadès s’était résigné à l’aimer comme un chien aime son maître, depuis longtemps. Il n’y avait aucune emphase misérabiliste dans cette constatation : c’était bien sa part à lui, la part du chien. Une caresse de temps à autre, quand on y pense. Et le chien est heureux.

            Il s’était habillé à la hâte. Elle reparut dans la chambre, enveloppée dans une sorte de boubou. La pointe de ses seins tendait le tissu. Hadès la contempla et oublia aussitôt ses pitoyables reproches. À quoi pouvait-il donc prétendre ? Lola avait rajeuni. Et le temps, le temps travaillait pour Hadès. Il sortit.

            Le studio empestait le tabac froid. Des restes de sandwiches séchaient sur le radiateur. Hadès se baissa, prit une bière dans le pack de carton qui traînait sur la moquette, et décapsula la bouteille. Il but au goulot.

            Le magnétoscope était en marche. Un bout de rue enneigée apparut sur l’écran. Les branches des marronniers, dans le square, dégoulinaient de glaçons. Hadès s’assit dans le fauteuil, face à la fenêtre. Il chargea le Nikon d’une nouvelle pellicule, régla le téléobjectif sur l’entrée de l’immeuble, de l’autre côté de la rue, et attendit. Il était 10 h 30. Hadès guetterait ainsi jusqu’à 17 heures.

            Il y aurait une coupure entre midi et 14 heures. L’ennui n’effrayait pas Hadès. Ni l’attente.

            Hadès avait conclu un pacte avec le Temps. Il éclata de rire à cette pensée. Un pacte avec le Temps, lui, Hadès ? Allons donc…

            Dans la nuit de l’Histoire, Ouranos et Gaia, le Ciel et la Terre, donnèrent naissance, par leur union, aux Titans… Cronos, le Temps, était le plus jeune d’entre eux. Et Cronos, à son tour, eut une descendance, en s’unissant à sa sœur, Rhea. Ils engendrèrent trois filles : Demeter, Hestia et Hera. Et trois fils : Poséidon, Zeus, et… Hadès ! Le Gouverneur de l’Empire des morts était le fils du Temps. Le fils du Temps ! Son sang coulait à pleins flots dans les veines d’Hadès.